Insertion professionnelle et employabilité
C’est le titre de la Conférence Européenne des Experts de Bologne, qui s’est tenue au CIEP de Sèvres les 16 et 17 mai 2013, et dont voici le compte-rendu :
Ouverture de la conférence
Le CIEP est un établissement public placé sous tutelle du Ministère de l’Education nationale. C’est un opérateur public pour la coopération internationale en éducation au service des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur.
Il abrite le centre ENIC-NARIC France, qui délivre des attestations de comparabilité pour les diplômes étrangers.
Les Experts de Bologne (M. Jean Luc Lamboley)
Réseau créé en 2004 à l’initiative de la Commission Européenne, qui a pour mission l’accompagnement du processus de Bologne. L’équipe française compte 18 membres.
Ce réseau n’existera plus dans les nouveaux programmes européens, mais chaque état pourra maintenir les personnes en place, au niveau national.
L’agence 2E2F (M. Antoine Godbert) :
Considère depuis deux ans le travail avec les entreprises comme une priorité.
L’insertion professionnelle des étudiants dans les entreprises est une priorité en temps de crise, mais c’est aussi une priorité européenne.
DGSIP (Mme Simone Bonnafous) :
48% d’une classe d’âge sort avec un diplôme de l’enseignement supérieur. On n’est pas loin de l’objectif des 50%. Mais on est dans le quantitatif et non le qualitatif.
L’insertion professionnelle comme objectif de l’enseignement supérieur est un thème toujours discuté dans le milieu de l’enseignement supérieur en France, qui ne va pas de soi pour tout le monde.
Globalement les diplômés de l’enseignement supérieur s’insèrent. Mais dans la période actuelle de chômage fort, on a quand même 22,4% des jeunes de moins de 25 ans au chômage, contre 9% pour l’ensemble de la population.
Un des freins de la mobilité est la timidité linguistique qui accentue la timidité sociale. C’est un facteur d’enfermement dans son pays. Les classes supérieurs le savent bien et mettent les moyens pour régler ce problème et le régler en dehors du système d’éducation ou d’enseignement supérieur si nécessaire.
La question de l’employabilité ne peut pas être uniquement française, elle est à minima européenne voire internationale. Les écoles de commerce et d’ingénieur le savent depuis longtemps (mise en place de doubles cursus, délocalisation…). Même les classes prépa commencent à se poser la question « s’américaniser ou pas ? ».
État des lieux de l’employabilité
Conseil de l’Europe (M. Jean-Philippe Restoueix) :
En Europe, au-delà des problèmes économiques, il y a une crise démocratique très réelle avec l’émergence de partis d’extrême droite dans plusieurs pays.
Dans l’Union Européenne on trouve 94 millions de jeunes âgés de 15 à 29 ans, 21% sont au chômage :
Pour les moins de 25 ans
– Grèce : 58,4%
– Espagne : 55 ,7%
– Allemagne : 7,7%
On court le risque d’une génération sacrifiée.
Les impacts du processus de Bologne :
– Un enseignement centré sur l’apprenant avec une vision non consumériste de l’étudiant,
– Une réflexion basée sur les acquis de l’apprentissage,
– Une perspective d’apprentissage tout au long de la vie (renforcer le lien et le dialogue entre université et formation professionnelle, un vrai défi interculturel).
Université d’ABERTAY – ÉCOSSE (M. Steve Olivier) :
Il existe un forum écossais de l’employabilité de l’enseignement supérieur.
Ses missions :
– Apporter un leadership stratégique sur l’employabilité,
– Soutenir les programmes de stage : 2800 stages organisés en Ecosse, mais les universités vont avoir des difficultés à poursuivre ce projet…
La notion d’employabilité a une place centrale dans les universités écossaises. Elles adaptent spécifiquement leurs enseignements aux besoins du marché. Il existe une représentation des employeurs dans les instances qui accréditent les diplômes.
Il existe un conseil de financement qui s’occupe du financement de toutes les universités. Mais suite à des restrictions budgétaires, le gouvernement veut maintenant des résultats quantifiables au niveau de l’enseignement supérieur. Les universités ont une liste de soixante points de résultats à atteindre pour obtenir leurs financements. Par exemple :pas deux filières identiques dans la même ville dans deux universités différentes.
Tous les diplômes doivent comporter un volet concernant l’employabilité.
Qu’en est-il de l’autonomie des universités ? L’état devient de plus en plus interventionniste.
La majorité des diplômés écossais trouve un emploi dans les six mois.
Les modèles actuels sont ils appropriés ? Les diplômes en quatre ans en Ecosse sont peut être trop longs et coûtent peut être trop chers au contribuable.
Service de la stratégie de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (M. Jean Michel Jolion) :
L’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur en France est assez bonne. Il ne faut pas considérer une insertion professionnelle à court terme mais à moyen terme.
Les facteurs de dysfonctionnement :
– Des images stéréotypées de certaines formations – des jeunes qui pensent à une insertion classique dans les grandes entreprises alors que 33 % d’entre eux sont recrutés par des PME voire des TPME.
– Dans les grands groupes, les codifications des recrutements des DRH ne bénéficient pas actuellement aux universités.
– Un effort reste à faire sur l’esprit de compétition. Les diplômés de l’université n’ont pas encore suffisamment assimilé que le processus de recrutement est un processus de sélection.
– Concept de professionnalisation des cursus : doit passer par une collaboration entre les milieux sociaux économiques.
Les universités en France n’ont maintenant plus le droit d’ouvrir une nouvelle formation si elles n’ont pas l’accord d’un comité national qui considère l’employabilité. C’est très formel mais c’est au moins un début de prise de conscience et l’introduction d’une nouvelle culture.
Les leviers possibles :
– Généralisation des conseils de perfectionnement,
– Développement massif des stages,
– Développement de l’alternance,
– Le système universitaire doit être générateur de métier,
– Démarche compétence : RNCP (répertoire national des certifications professionnelles / réflexions en termes de compétences),
– Développement des partenariats universités – entreprises (accord cadre),
– Travailler sur l’identification des débouchés.
Derrière les stéréotypes, il n’y a pas de désamour entre l’université et l’entreprise. Mais en temps de crise il y a des replis et ces replis son plus défavorables aux universités qu’aux grandes écoles.
Projet de loi pour l’enseignement supérieur et la recherche :
– Il va y avoir tout un train de mesures concernant l’insertion professionnelle,
– La priorité va être donnée aux bacs technologiques et professionnels pour l’accès aux filières d’enseignement supérieur court,
– Rationalisation des cursus de masters (moins de cursus et plus pérennes).
Représentations et enjeux des acteurs
Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (M. Jean Michel Uhaldeborde) :
L’employabilité est un concept en émergence en France. On peut le prendre dans une perspective de court terme et l’associer à l’accès à un premier emploi pour un étudiant. Mais si on le prend sur le long terme, on va travailler sur la capacité des salariés, anciens étudiants à se réinsérer, à être mobile professionnellement… Tout dépend de l’horizon que l’on envisage.
Il faut arriver à ce que l’on sorte de certains stéréotypes. Les étudiants issus de l’université sont victimes d’effets de castes par rapport aux étudiants sortis des grandes écoles – Les entreprises préfèrent embaucher des ingénieurs plutôt que des chercheurs (elles pensent que le niveau des chercheurs est surdimensionné pour elles).
L’association B. Grégory, accompagne les docteurs à leur entrée dans le monde de l’entreprise.
L’accès à l’emploi dans le contexte français et européen
Pôle Emploi (M. Fabien Beltrame) :
Pôle Emploi est dans une phase de très grand changement de par la mise en place de nouvelles modalités d’accompagnement :
– Plus grande individualisation du suivi,
– Proximité d’action avec les partenaires et meilleure prise en compte des besoins locaux,
– Optimisation des moyens : plus d’attention portée aux résultats des actions, faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin.
Ils ont défini un référentiel de huit compétences à acquérir, maintenir, développer pour améliorer la capacité à s’orienter tout au long de la vie. L’ensemble des conseillers de Pôle Emploi, va être formé à l’utilisation de cet outil.
Microsoft Belgique / Luxembourg (M. Bruno Schröder) :
Tous les dix ans, la puissance de calcul est multipliée de 10 000 pour quelqu’un qui travaille avec un outil informatique. Tout change très vite. Les jeunes diplômés ont une compétence plus importante que les anciens diplômés : c’est assez exceptionnel dans le monde du travail. Microsoft est donc très ouvert aux jeunes diplômés de 1 an.
Les personnes changent de travail tous les trois ans au sein de l’entreprise.
Les critères de recrutement des jeunes diplômés :
– La capacité à collaborer : aucun informaticien ne travaille seul,
– Le multilinguisme,
– La capacité de jugement,
– L’indépendance dans l’exécution,
– L’adaptabilité,
– La capacité de persuasion,
– La multidisciplinarité.
Ils sont continuellement en manque de 8 à 10 000 emplois.
Les manques dans les formations d’enseignement supérieur du domaine de l’informatique :
– La capacité à communiquer,
– La capacité à la gestion de projet,
– La compréhension de l’écosystème de l’entreprise,
– Les connexions entre l’enseignement et l’extérieur.
Le Luxembourg est devenu en trois ans l’un des géants de l’économie digitale car il s’est posé le problème suivant : quelles compétences digitales veut-on transmettre dans les formations ? (Idem pour l’Estonie).
En Belgique, le problème n’est pas du tout posé, le pays va malheureusement prendre du retard…
Synergie Campus Entreprises (Mme Brigitte Durand) :
C’est une association émanant d’un groupe de campus managers de grandes entreprises implantées en France.
Leur bâton de pèlerin : l’alternance, les contrats de professionnalisation, le rapprochement vers les universités, les métiers commerciaux (toutes les entreprises en cherchent même si c’est de manière différente ou sur des profils différents).
Il n’est pas facile de faire comprendre aux entreprises étrangères ce qu’est un stagiaire à la mode française.
Conseils aux étudiants qui cherchent un stage à l’étranger :
– Expliquer ce qu’est un stage dans son cursus académique, c’est-à-dire faire de la pédagogie,
– En fonction de ses études expliquer ce que l’on sait faire (mais sans être restrictif),
– Démythifier : tout le monde n’est pas fils de ministre, l’entreprise ne va pas avoir à loger le stagiaire, etc. !
Les dispositifs d’accompagnement des étudiants
Les Doctoriales (M. Jean Richard Llinas) :
C’est une expérience menée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour la professionnalisation des doctorants. En France, à peu près tous les doctorants ont l’intention de poursuivre leur travail dans le secteur public. Or seulement un sur quatre continuera sa carrière à l’université ou dans un organisme de recherche privé. C’est différent de l’Allemagne ou du monde anglo-saxon où l’insertion professionnelle en entreprise est naturelle pour les doctorants.
Une relation réussie s’est instaurée entre les Doctoriales et un réseau d’entreprises locales.
Dans le cadre des Doctoriales, les doctorants suivent des séminaires d’insertion professionnelle, des ateliers de conception / développement de projets, et bénéficient de parrainages.
Université des sciences appliquées – Ulm, Allemagne (M. Klaus Peter Kratzer)
En Allemagne, développer l’employabilité en fin de premier cycle n’est pas une interrogation contrairement à la France, c’est une obligation sociale.
Des compétences sont systématiquement développées dans les modules de formations :
– L’auto organisation,
– La réflexion et la communication,
– L’intelligence émotionnelle,
– La modestie.
Il faut de nouvelles méthodes d’enseignement, aider les étudiants à développer leur sens des responsabilités sociales.
Les compétences internationales et linguistiques sont très importantes ; beaucoup de PME allemandes sont des leaders du marché dans de très petites niches de production et ont des filiales dans beaucoup de pays étrangers. Il est nécessaire d’envoyer les étudiants en stage ou en période d’étude dans ces pays.
Le système de qualification professionnelle et académique : il fonctionne en parallèle au système universitaire, avec une formation en établissement et en entreprise. Il permet d’obtenir en quatre ans et demi un double diplôme universitaire et professionnel. Il résulte d’un accord tripartite entre l’université, l’entreprise et l’étudiant. Les entreprises investissent pendant les quatre ans et demi sur la formation des étudiants et les emploient donc à la fin.
C’est actuellement leur meilleur modèle d’insertion professionnelle.
Université de Rennes II (M. Marc Gimonet) :
Projet IDEFI (dispositif de préprofessionnalisation des licences générales).
Intégration de l’alternance pédagogique et de la pédagogie par projet.
La conception des formations
IUT d’Allier (M. Christophe Condat) :
« Une entreprise pour apprendre l’entreprise ».
L’IUT a mis en place une structure de type entreprise qui est gérée par des étudiants et « tutorée » par des enseignants n’ayant qu’un rôle de conseiller.
L’insertion professionnelle en a été améliorée : 90% des étudiants trouvent du travail en moins de 3 mois, les entreprises partenaires les recrutent.
Université Jean Monnet (M. Jean Luc Fugit) :
L’université à élaboré un « guide de compétences licences ». Cela a eu un impact sur les lycéens et leurs parents (meilleure information), sur les étudiants (modifie leur approche souvent trop scolaire, dédramatise l’insertion professionnelle future), sur les enseignants (aussi bien du secondaire que de l’université), sur les employeurs potentiels (meilleure connaissance de l’université et de ses diplômes).
Université de Zaragoza – Espagne (Mme Béatrice Bellet) :
Projet « 100 Mirrors ». Le projet fonctionne dans le cadre du programme Erasmus et associe cinq pays : l’Espagne, la France, l’Écosse, la Pologne et la Grèce. Le projet présente vingt modèles de réussite féminine dans chacun des cinq pays, dans dix secteurs économiques différents. Il s’agit d’interviews portant notamment sur les compétences qu’avaient ces femmes de manière intrinsèque, celles qui leur manquaient et qu’elles ont dû développer. Les compétences qui font le plus souvent défaut, sont des compétences transversales et non spécifiques, les personnes sont très bien formées au niveau de leurs spécialités.